En octobre 2020, la Solidarite Fanm Ayisyèn-SOFA a diligenté une enquête suite à des informations circulant à la radio et sur les réseaux sociaux indiquant qu’entre août et septembre 2020 qu’un bon nombre de jeunes adolescentes, âgées pour la plupart entre 13 et 17 ans, sont tombées enceintes dans la commune de Beaumont pendant la période du confinement lié à l’apparition du COVID-19. Il est également constaté que toutes ces jeunes filles fréquentaient un même établissement scolaire, l’école « La Prophétie », dirigée par Monsieur Jean Anel DESROSIERS. Cette enquête a été menée au sein de la commune avec la collaboration des notables, leaders politiques et communautaires de la zone et auprès de personnes directement concernées par le scandale, à savoir les jeunes filles tombées enceintes et leurs parents. Mis à part les entretiens individuels, un focus groupe a été réalisé avec quelques-unes de ces jeunes filles accompagnées de leurs parents. Les principaux outils de collecte utilisés pour réaliser cette enquête sont les suivants : un questionnaire semi-dirigé, un enregistreur et un bloc-note servant à recueillir les informations.
Beaumont, une commune faisant partie de l’arrondissement de Corail du département de la Grand-Anse, est réputée pour la production de café, de pomme de terre et les cultures maraîchères. L’élevage est l’une des principales activités qui constituent la base de son économie. Cependant, depuis quelques années les habitants font face à de nombreuses catastrophes naturelles qui affectent profondément leur situation socio-économique. En outre, les services sociaux de base tels que la santé, le logement décent et l’éducation leur sont presque totalement inaccessibles.
La ville de Beaumont compte un seul lycée qui fonctionne en une seule vacation, destiné à servir toute sa population. Ainsi, la majorité des parents est obligée de se tourner vers des écoles privées qui sont trop souvent inabordables, à cause de leur prix le plus souvent exorbitant par rapport aux moyens économiques dont elle dispose. Cette situation n’est pas différente pour la plupart des familles de la localité « Dèyè Mòn » où les parents n’ont pas de choix en ce qui a trait au pain de l’instruction pour leurs progénitures. Ainsi, les élèves de cette localité sont obligés de parcourir des kilomètres pour avoir l’accès à une institution scolaire.
En ce qui a trait à la justice, elle est quasi inexistante au sein de cette commune. Depuis 2018, la Police, auxiliaire indispensable de la justice, est absente suite à un incident éclaté entre un policier et un individu, qui s’est soldé par la mort de ce dernier. Ce qui a conduit à l’incendie du commissariat par la population qui se sentait indignée suite à cet événement. D’après les témoignages de plusieurs notables, la population de Beaumont est livrée à elle-même en termes de sécurité, car la commune ne dispose toujours pas de commissariat.
Pour ce qui est des cas de violences basées sur le genre, le CASEC Daniel JEAN explique que, dans la majorité des cas de violences basées sur le genre, c’est l’argent qui dicte la loi. Une fois qu’on sort du silence, on est vu comme une personne médisante qui essaie de ternir l’image de la personne dénoncée. Ainsi, peut-on déduire qu’il existe une impunité à outrance dans la commune de Beaumont qui est due à la faiblesse de l’État haïtien dans la gestion du pays, notamment en matière de justice.
Apparemment, les cas de VBG semblent se normaliser dans cette commune depuis plusieurs années. Selon les notables interviewés, la réalité de femmes battues par leur compagnon et de celles qui sont obligées d’élever seule leurs enfants abandonnés par leur père est très courante dans la commune. Et c’est l’une des raisons pour laquelle que la SOFA a décidé d’implanter dans la commune, en février 2018, un centre DOUVANJOU qui a pour but d’accueillir et d’accompagner les filles et femmes victimes de violences en leur offrant un accompagnement médical, psychosocial et juridico-légal.
Parallèlement, on constate un taux élevé de décrochage scolaire chez les jeunes filles qui est due pour la plupart notamment à leur situation socio-économique. Ainsi, la plupart entretiennent-elles des relations intimes avec des adultes afin de subvenir à leurs besoins. Ces divers éléments peuvent être dans une certaine mesure à la base du scandale qui s’est produit à Beaumont, précisément à l’école « La Prophétie » de la localité de « Dèyè Mòn ».
Au début du mois d’août 2020, la reprise des cours a eu lieu dans cette école, pourtant plusieurs élèves n’ont pas répondu à l’appel. Dans le but de chercher à comprendre cette absence massive, le directeur de l’école a décidé de mener une investigation. Ainsi, a-t-il pu découvrir que la plupart de ces filles étaient soit enceintes ou avaient un nouveau-né. Suite à ce constat, il a divulgué les informations collectées dans le but de forcer les autorités concernées à ouvrir une enquête afin de savoir dans quelles conditions ces mineures sont tombées enceintes. De son côté, la SOFA, à travers son centre Douvanjou, a pu identifier 18 parmi les jeunes filles qui étaient venues chercher de l’aide auprès de l’organisation et leur a offert un accompagnement médical et psychosocial. On a pu comprendre que ces jeunes filles, pour la majorité, ont été manipulées et abusées par leurs professeurs ou des notables de la communauté. Selon les interviewé.e.s, certains des géniteurs ont pris la fuite alors que d’autres circulent librement sans se soucier de leurs actes.
Selon le responsable de l’IDETTE Monsieur Gérard Guillaume, ces pratiques sont très répandues dans le département de la Grand-Anse où il reçoit de nombreux cas de VBG. L’IDETTE a également fait une enquête et a recensé près de soixante-quatorze (74) jeunes filles, dans huit (8) écoles différentes des communes de Beaumont et de Pestel, qui sont tombées enceintes. Et les bébés sont issus majoritairement de rapports sexuels entre ces filles mineures et des adultes qui sont âgés jusqu’à cinquante-sept (57) ans. Parmi les cas de VBG, des personnes très connues y sont impliquées telles que le directeur départemental de l’éducation nationale connu sous le nom d’Anouse DORESTANT qui a violé plusieurs mineures, et le fils du juge Arnold BAPTISTE, connu sous le nom de Jeudy BAPTISTE qui se retrouve impliqué dans quinze (15) cas de viol.
De son côté, l’infirmière en chef du centre de santé Saint Anièce affirme que le centre reçoit en moyenne cinq (5) cas de violence par mois. Si certaines survivantes sont référées par la SOFA, d’autres ont recouru vers le centre de leur propre gré. Toutefois, certaines survivantes et leurs proches refusent de porter plainte contre les agresseurs. La plupart des mères rencontrées pendant l’enquête informe que leurs enfants étaient encore mineures au moment de leur grossesse. Par ailleurs, certaines d’entre elles connaissaient parfaitement la relation qu’entretenait leur fille avec son géniteur au point qu’elles préfèrent chercher une entente avec ce dernier ou ses proches au lieu de porter plainte. Ainsi, la plupart des familles des survivantes négocie une somme avec l’agresseur, affirme l’ASEC Dorlus Jean Marques. Et, dans ces cas précis, les autorités ne se soucient pas à mettre l’action publique en mouvement contre l’agresseur comme l’exige la loi sous prétexte que les victimes ont déjà bénéficié d’une réparation civile.
Nombreuses sont les personnes qui n’approuvent pas la manière dont le directeur de l’école « La Prophétie» a traité le dossier. Certains pensent qu’il devrait le faire à l’interne et d’autres affirment qu’il voulait porter atteinte à la réputation de la commune et que pour cette raison, il mérite d’être enfermé en prison.
À travers le centre Douvanjou, la SOFA réalise plusieurs activités, telles que des plaidoyers, des services d’accompagnement des survivantes de violence et de sensibilisation dans le but d’apporter une réponse à la situation de violences et d’abus sexuels que connaissent les femmes et les filles dans la commune de Beaumont. Et, dans le cadre du scandale des filles tombées enceintes au sein de l’école « La Prophétie », les intervenantes du centre ont fourni, en tout premier lieu, à celles qui étaient venues chercher de l’aide, un accompagnement médical pour pouvoir assurer les suivis prénataux. Elle a également fourni un appui psychologique à ces dernières à travers des groupes d’entraides[1], au cours desquels les questions de violences basées sur le genre, planification familiale, prévention de grossesse non désirée et des IST, entre autres, ont été abordées.
À la fin de cette enquête, force est de constater que les filles ne connaissent pas vraiment leurs droits, notamment celui d’avoir une vie épanouie et sans violence. Et, cela est dû notamment à une absence de responsabilité ou à la passivité des autorités jérémiennes à faire appliquer la loi, tel que exigé par l’État de droit, mais également à la démission des institutions de socialisation, notamment les écoles, face à leur responsabilité de protéger et d’informer les jeunes sur leur droit à vivre de leur sexualité sainement, sans manipulation ou sans force. .
Par ailleurs, afin de remédier à cette situation, la SOFA exige un ensemble de mesures telles que le renforcement de l’appareil judiciaire dans la commune de Beaumont afin de protéger les femmes et les filles contre les violences de toutes formes; la mise en place de structures adéquates, via le Ministère de l’Éducation nationale et de la formation professionnelle, permettant de protéger les écolières contre toute forme de violence, d’assurer leur éducation sexuelle et de les informer davantage sur leurs droits. Et également, la SOFA exige que l’enquête judiciaire sur l’Affaire de Beaumont soit menée que les coupables puissent être condamnés selon la loi. Cliquer ici pour telecharger le rapport complet de l’enquête
[1] Thérapies psychologiques de groupe, couramment appelée « groupes de parole », qui mettent ensemble des survivantes ayant vécu à peu près un même traumatisme, leur offrant la possibilité de partager leurs expériences afin de pouvoir le dépasser.